Rencontre avec Alexandre Dizac alias Alexöne, artiste en résidence au Cerfav

De l’automne 2020 au printemps 2021, le Cerfav a accueilli l’Artiste peintre Alexöne. Venant du street art, sa curiosité pour diverses techniques artistiques l’a mené au verre. Cette interview, menée au début de sa résidence, est l’occasion d’en savoir plus sur son parcours et son projet en collaboration avec le Cerfav. Celle-ci s’achève par une exposition au Musée des Beaux-Arts de Nancy du 24 juin au 04 octobre 2021.

ALEXANDRE DIZAC : DU MUR À LA TOILE

Interview de David Arnaud (Cerfav) :

Alexöne, est-ce que tu peux te présenter ?

Alexandre: Je suis Alexandre Dizac de mon vrai nom. J’ai découvert très tôt l’art en faisant des gribouillis sur les murs, et dans ce milieu les gens ont souvent un pseudo auquel ils ajoutent “One”. À l’époque, je trouvais que c’était trop cool de faire ça, alors j’ai créé Alex One. J’ai arrêté d’avoir un pseudonyme et j’ai mis mon nom de famille quand j’ai commencé à faire des expositions, car je préférais que l’on dise Alexöne ou Alexandre Dizac. J’ai gardé Alex One pour me souvenir de mon vécu. Mais aujourd’hui c’est Alexandre Dizac.

Où est-ce que tu travailles ?

A.D : Actuellement, je travaille sur Paris, très exactement en proche banlieue, où j’ai un atelier pour moi seul et où je fais essentiellement de la peinture.

Quand et comment as-tu commencé à créer ?

A.D : C’est drôle parce que je n’ai pas eu l’impression de commencer à créer, mais plutôt que c’est la création qui est venue à moi.
J’ai découvert le graffiti quand j’étais adolescent. Quand je me construisais, j’avais besoin de m’exprimer, sans forcément m’en rendre compte. On a tous un peu ce besoin-là. Au début, je faisais des petits dessins pendant les cours, et puis finalement grâce aux graffitis, j’ai mis tout ça en couleur sur des grands murs. En regardant autour de moi, j’en ai vu d’autres qui faisaient des trucs comme ça. Il y avait toutes ces œuvres sur les murs, mais aussi à l’époque tout ce qui était peint sur les planches de skate. C’est comme ça que j’ai commencé.
Tout ça m’a fait découvrir le monde avec un grand M. Au départ, ce travail était un prétexte pour aller me balader. C’est comme ça que j’ai rapidement pris le métro pour aller jusqu’à Paris. J’allais à Paris pour voir des œuvres, et si je me suis mis au graffiti, c’est parce que c’était accessible. Je dis souvent que si mes parents m’avaient offert des pinceaux, des toiles avec de l’acrylique pour Noël, j’aurais peut-être tout simplement commencé à faire de la peinture sur ces toiles. Je n’ai pas fait ça pour me rebeller, ça m’est juste tombé dessus.
Plus tard, j’ai eu des déboires avec l’école et je me suis retrouvé dans une formation de maquettiste publicitaire. C’était comme faire une école de dessin, il y avait deux heures de dessin par semaine et ça m’a ouvert à beaucoup de choses. Ce qui était intéressant aussi, c’est que cette école était sur Paris et que ça me permettait d’être là où il se passaient les choses. Le soir, je sortais des cours et j’allais voir des expositions. Étonnamment, à cette époque je ne regardais pas trop ce qu’il y avait au mur mais plutôt ce qu’il y avait dans les expositions.

Sculpture en verre conçue par Alexandre Dizac et réalisée en collaboration avec le Cerfav, 2021 © Nicolette Humbert

As-tu toujours senti que la peinture était ce que tu allais faire de ta vie ? Ou alors ça n’a pas toujours été évident ?

A.D : Non pas du tout, en fait c’est ça qui est drôle, car je n’ai commencé à avoir un atelier et à y peindre que depuis 2000. Par contre, je faisais tout de même des expositions et pas mal de choses, comme des toiles que je peignais sur mon lit ou dans le salon de ma mère. J’étais tellement pris dedans que je peux dire maintenant que je faisais un peu de l’art sans le savoir. Ça n’a jamais été pour moi une évidence car je ne savais pas que ça existait, ce métier d’artiste. Ça paraît étonnant, mais par exemple pour moi, il y avait Van Gogh, Picasso, mais en réalité je ne les connaissais pas, ils étaient des mythes pour moi. Et puis autour de moi il n’y avait pas d’artiste, donc je ne me posais pas ce genre de question.
Avec le graffiti, ce qui est étrange, c’est que tu en fais vraiment beaucoup quand tu es accro comme je l’étais : ce n’est pas juste un petit dessin comme ça de temps en temps. Toutes les semaines, je faisais deux ou trois graffs, des énormes murs de 4-5 m de large. Donc oui, je n’avais que ça en tête, mais je ne me posais pas la question de savoir si j’allais devenir un artiste.

Sculptures en verre conçues par Alexandre Dizac et réalisées en collaboration avec le Cerfav, exposées au Musée des Beaux-Arts de Nancy © Nicolette Humbert

Tu as découvert le graffiti à l’âge de 12-13 ans, puis plus tard tu as travaillé sur des toiles en atelier. Comment s’est passé pour toi le passage de la rue à la toile ?

A.D : Alors on est en 1996, et je retrouve des bouts de bois qui étaient de petites toiles et de 1996 à 2000 où là ça commence à être un peu plus sérieux, et bien j’ai peint sur ces toiles, c’était un premier passage déjà. En parallèle, j’ai également fait des expositions dans des lieux alternatifs, mais ce n’était pas du tout professionnel.

La vraie coupure franche, c’est quand après avoir travaillé comme graphiste pour des start-up web, je suis arrivé chez Publicis, une grosse boîte où j’ai rencontré d’autres artistes et en particulier le 9e concept, qui travaillait avec des marques et faisait de gros événements.
J’ai donc participé à un grand événement, “Welcome on board”, qui consistait à peindre pendant trois, quatre mois dans un hangar d’à peu près 700 m2. On a terminé par une grosse expo itinérante autour de la culture urbaine (skate, graffiti etc.) Il y avait à peu près huit semi-remorques pour transporter tout ça et cette expérience m’a permis de mieux gagner ma vie tout en faisant ce que je voulais. C’était vite vu : j’ai quitté mon travail de graphiste chez Publicis pour continuer à peindre.

Y a-t-il une différence pour toi entre montrer ton travail dans la rue et dans une galerie ?

A.D : En 2002-2003, je suis parti à Bruxelles où j’avais un ami qui était à l’école la Cambre, et j’ai rencontré certains de ses amis qui m’ont dit où trouver des ateliers pas très chers. Et finalement, il m’en a dégoté un de 90 m2 que je partageais avec un sculpteur près de la gare du Midi.
Cela devait durer quelques mois, le temps d’être tranquille pour préparer ma première grande expo en 2005 à la galerie Alice. C’est aussi à cette période-là que j’ai vraiment totalement arrêté de faire du graffiti pour me consacrer entièrement à des expositions.
Ce qui changeait aussi par rapport aux graffitis, c’est que le matin je me levais uniquement pour aller à l’atelier et peindre. En contrepartie, c’était un peu difficile parce qu’à cette époque, comme j’étais parti de France, je n’avais plus de travail de graphiste et donc plus de commandes ni d’argent. Ça a été la bohème pendant une période assez longue. Mais j’avais choisi, c’était enfin mon métier.
Donc pour répondre plus précisément à ta question concernant le travail dans la rue ou pour une galerie : si tu veux une exposition, tu la fais de A à Z et tu dois commencer à faire au moins 15-20 toiles avec un travail cohérent. Moi, c’est ce qui m’intéresse vraiment, c’est d’avoir un gros travail sur une exposition complète, avec une cohérence sur plusieurs expositions et sur plusieurs toiles.

Tes œuvres sont souvent construites autour d’animaux. Qu’ont-ils à raconter ?

A.D : Je serai tenté de parler de La Fontaine pour te répondre, mais c’est aussi parce qu’avec les animaux, c’est plus facile et moins grave de déformer. Je pense que j’aurais plus de mal en mettant des personnes.
Je ne sais pas si c’est de l’ordre du respect ou de l’envie de faire bien, mais disons qu’aucun animal ne va venir me dire « non ça va pas, là tu m’as mal fait ». Ça c’est le premier truc, je ne revendique pas et je ne suis pas militant dans mes travaux, mais je vis dans ce monde et j’en suis imprégné, et les animaux sont intéressants pour en parler. Finalement, ça m’a amené à passer de choses très illustratives à des motifs plus abstraits. Aujourd’hui, je fais beaucoup de motifs très abstraits.
Pour la petite histoire, ce qui est drôle, c’est que quand j’étais chez Publicis, personne ne savais que je faisais des petits dessins et des illustrations. Mais des années plus tard, j’ai des amis qui sont rentrés chez Publicis parce qu’ils avaient intégré un peu mon style d’illustration et ont gagné pas mal d’argent avec ce style. Tout ça pour dire que ça m’a convaincu de continuer dans mon travail de peintre et de ne pas forcément être que dans le lucratif des illustrations.

Tu t’apprêtes à commencer une résidence au Cerfav pour travailler avec le verre. De quelle manière es-tu arrivé en contact avec le Cerfav, et as-tu déjà une petite idée de ce que tu souhaites y faire ?

Dessin explicatif, Alexandre Dizac

A.D : Ce que j’aime beaucoup depuis toujours, c’est travailler avec des artisans.
J’ai commencé en faisant des estampes, de la sérigraphie. En ce moment par exemple, je fais beaucoup de lithographies avec l’atelier Clos à Paris.
J’ai également travaillé avec des maroquiniers pour fabriquer des chaussons pour enfants, j’ai aussi fait des chocolats.

Alexandre Dizac au Cerfav, grave sa sculpture en verre
Alexandre Dizac entrain de graver une sculpture en verre réalisée par le Cerfav avec la technique du soufflage à la canne d’après ses dessins


Avec le verre, il y a ce côté sculpture et j’adore l’idée de rendre mon univers en trois dimensions. Ce qui m’attire dans l’artisanat, c’est que ça renvoie à un art populaire avec des choses qui sont accessibles. Sans aller au musée, tu peux voir des objets produits par des artistes. Et pour le verre, ça fait bien longtemps que je le vois, longtemps que j’ai envie de faire quelque chose avec, ça m’intrigue.

Finalement, c’est l’occasion de réaliser un objet qui sera réellement transposé de mon univers en y apportant quelque chose de nouveau. Pour moi, cette collaboration est importante parce qu’après avoir fait le tour des ateliers du Cerfav, je me rends compte que je vais pouvoir aller plus loin que tout seul.

Dessin explicatif, Alexandre Dizac


Pour finir, je suis arrivé au Cerfav par un contact avec le Musée des Beaux-Arts de Nancy, avec lequel Susana Gallego-Cuesta avait envie que je travaille. On a parlé un peu d’une exposition interactive… Et finalement la Covid arrivant, ça ne s’est pas vraiment passé comme on voulait. Mais plus tard dans la discussion, on a commencé à parler d’artisans et d’artisanat, et je lui disais que ce qui m’intéressait, c’était de travailler avec des artisans. Et elle m’a tout de suite parlé du verre et de la résidence au Cerfav.

Dessins sur le sol de l’atelier de soufflage du Cerfav représentant la sculpture à réaliser

Réalisation d’une sculpture par le Cerfav d’après dessin d’Alexandre Dizac

INFOS PRATIQUES :

→ Le site internet de l’artiste

→ Son exposition au Musée des beaux-arts de Nancy

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